C'est d'abord un technicien expert dans le travail du bois. Ce matériau vivant qui est extrêmement capricieux et sensible à la chaleur et l'humidité évolue considérablement après avoir été coupé. Il est donc indispensable de le faire mûrir pour lui atteindre une certaine stabilité avant de le travailler et l'assembler dans un instrument de musique qui sera au court de sa carrière soumis à des chocs mécaniques et climatiques et à une forte sollicitation quotidienne.

C'est surtout un artisan, qui travaille de ses mains, seul ou aidé par un apprenti (souvent quelqu'un de sa famille). Il protège jalousement son savoir-faire et ses petits secrets. Il est en constante quête du Graal, cherchant sans la trouver la perfection dans les qualités sonores et dans la finition de ses instruments. 

C'est ensuite un architecte qui sans être un ingénieur acousticien sait réaliser un système sonore efficace. Il s'appuie sur des connaissances tirées de l'étude d'instruments construits par ses prédécesseurs auxquelles il superpose son expérience personnelle fruit d'une pratique et d'expérimentations qu'il a pu mener, et l'influence des luthiers qui l'ont formé ou dont il a tout simplement admiré l'œuvre.

C'est en général un créatif, qui doit ajouter une note personnelle à ses œuvres pour espérer accéder à une certaine notoriété. Ses instruments doivent démontrer de l'originalité faute de quoi il peinera à tout bonnement exister et faire de la lutherie son gagne-pain.

C'est enfin un amoureux de l'instrument. Il côtoie les guitaristes, a des échanges fréquents avec eux, fonctionne bien en empathie pour pouvoir traduire leurs idées ou critiques en éléments concrets de construction.

Pour finir, ce luthier presque toujours de sexe masculin, a dû faire un véritable choix existentiel. Car son métier est physiquement exigeant, demande beaucoup de travail et d'engagement, et n'est malheureusement pas, sauf pour quelques artisans exceptionnels, pécunièrement très bien recompensé. 

Il faut savoir qu'il est très difficile de trouver un bon instrument de concert pour moins de 3000 euros. Cela tient à plusieurs facteurs incontournables :

1) Un luthier "normal" qui exerce à plein temps peut produire environ 10 à 20 instruments par an. Certains, en particulier les plus minutieux (Friederich, Gilbert, Romanillos) ou ceux qui utilisent un système de construction complexe (Smallman et al., Dammann,...) produisent parfois encore moins.

2) Ce métier impose de disposer d'un atelier spacieux et bien équipé ainsi que le maintien de stocks importants de bois des différentes essences qu'on laisse mûrir plusieurs années.

3) Le prix de revient des matériaux est assez élevé. D'après mes estimations, il s'élève à 500 euros minimum pour une guitare assez ordinaire et peut facilement dépasser les 1500 euros quand des essences rares sont utilisées (et encore bien davantage si l'on dispose des mécaniques de haut de gamme de type Alessi, Sloane, Gilbert ou Rodgers).

La marge finale hors amortissement de matériel et imputation de frais généraux est donc au plus de 2500 euros pour un instrument d'entrée de gamme. Elle est au plus de 4000 euros pour un instrument de grand concert (5500 euros) fabriqué avec des bois de premier choix.

Autant dire qu'à l'exception des quelques luthiers de très grand renom, son revenu annuel net hors investissement dépasse difficilement les 50.000 euros par an. Seule une fabrication en atelier semi-mécanisé de modèles standardisés permettra de ramener le prix de l'instrument à un niveau inférieur aux 3000 euros précités. Et dans ce cas, nous sortons du cadre de l'instrument de concert, puisqu'il ne sera plus possible d'optimiser chaque instrument pris individuellement.